Jeanne d'Arc et l'Allemagne - Léon Bloy

Jeanne d'Arc et l'Allemagne

By Léon Bloy

  • Release Date: 2024-04-08
  • Genre: Biographies & Memoirs

Description

Jeanne d’Arc est née dans la nuit de l’Épiphanie, le 6 janvier 1412. On dit que, cette nuit-là, les coqs du pays chantèrent avec une persistance inaccoutumée et que les habitants eurent la sensation inexplicable d’une grande joie. D’autres merveilles ont été racontées, mais ce chant des coqs, ce cantus gallorum paraît avoir un sens prophétique d’une précision singulière.
Le coq de l’Évangile est, en même temps, l’annonciateur de la Rédemption et du Reniement. Il est difficile de ne pas être saisi de cette similitude mystérieuse, quand on pense à la vocation infiniment unique de la Pucelle.
Cette jeune fille de dix-neuf ans sauve la France, la nation élue, le peuple de Jésus-Christ. Elle sauve la France à elle toute seule, on peut le dire. Aussitôt après, elle est reniée, condamnée, suppliciée horriblement par les chefs spirituels et tremblant de peur de cette nation délivrée.
Aujourd’hui, près de cinq siècles s’étant écoulés, on découvre enfin qu’elle était une sainte et qu’il est expédient de la mettre sur les autels. Mais le décret de canonisation est retardé faute de miracles dans le cours de cette vie ou après cette vie la plus grandiosement miraculeuse qu’on ait jamais vue. Messieurs les Docteurs continuent et le supplice continue aussi, en une manière.
Moi, simple laïque, je demande où est son cœur. Après l’affreuse combustion de la place du Vieux-Marché, la stupéfaction du bourreau fut extrême en constatant que le cœur et les entrailles de la martyre n’avaient pas été consumés. Il fallait cependant que le corps entier fût réduit en cendres pour être jeté dans la Seine, en accomplissement de l’ordre formel des chefs anglais qui ne voulaient pas que ses reliques pussent être recueillies. Vainement le misérable exécuteur essaya de détruire ces restes indiciblement précieux par le moyen de l’huile, du soufre et des charbons incandescents. Il fallut y renoncer et les précipiter dans le fleuve, du haut du pont de Mathilde, pêle-mêle avec les cendres et les ossements calcinés, sous les yeux attentifs des préposés du Cardinal d’Angleterre.
Ce cœur « encore plein de sang » et qui n’avait peut-être pas cessé de palpiter, qu’est-il devenu ? Ce cœur, le plus noble et le plus généreux qui fût au monde, où est-il ? Le feu n’avait pu le détruire. Que pouvait contre lui l’eau de la Seine et même la durée des siècles ? Jeanne qui a toujours dix-neuf ans à la droite de Jésus-Christ, depuis cinq siècles qu’elle brûle dans le Paradis, nous dira peut-être où il se trouve, quand il lui sera permis de parler. Mais alors, quel reliquaire pour le contenir et quelle basilique pour l’abriter !